«Le futur modèle de marché doit tenir compte du potentiel que présente le couplage des secteurs»

En novembre, l’OFEN a publié plusieurs études concernant le modèle futur du marché de l’électricité suisse. Jan Flückiger, responsable des affaires publiques chez Swisspower, nous livre son analyse des conclusions de ces études.

Quelles sont les principales conclusions des études commandées par l’OFEN?

Jan Flückiger: Premièrement, elles montrent que l’intégration de la Suisse dans le marché de l’électricité européen est importante pour la sécurité de l’approvisionnement –position que défend Swisspower depuis longtemps dans son Masterplan «L'énergie du futur». Une deuxième conclusion indique que, globalement, la Suisse n’a pas de problème de capacité et que le mécanisme de capacité n’est donc pas nécessaire. Les recommandations portent plutôt sur la constitution d’une réserve stratégique.

Que pensez-vous de cette deuxième conclusion?

L’équation «pas de mécanisme de capacité car pas de problème de capacité» est trop réductrice. Un mécanisme de capacité ne sert pas seulement à tenir à disposition la capacité requise sur l’ensemble d’une année mais aussi à assurer certains volumes à certains moments critiques. L’idée d’une réserve stratégique nous semble sur le principe bonne. Mais elle doit être ouverte à toutes les technologies afin de permettre aussi aux petites capacités décentralisées et aux consommateurs flexibles d’y contribuer. Et elle doit être complétée par d’autres composantes. Concrètement, il s’agit de créer des incitations à investir dans une production indigène renouvelable et de réduire ainsi de manière générale la dépendance par rapport aux importations. Une réserve stratégique présente par ailleurs certains risques de mise en œuvre: si les acteurs du marché savent qu’elle existe, ils peuvent d’une part se comporter de manière plus risquée et d’autre part retenir certaines capacités afin de faire grimper le prix de leurs propres réserves stratégiques.

De manière générale, quel regard portez-vous sur ces études?

Nous n’avons rien à critiquer en termes de méthodologie. En revanche, certains de leurs postulats de base nous semblent contestables. Les auteurs partent ainsi du principe que la Suisse est pleinement intégrée dans le marché européen de l’électricité et que les pays voisins livrent toujours suffisamment d’électricité à la Suisse même en période de pénurie – dans les deux cas, il s’agit d’hypothèses très optimistes. Autre postulat: dans un marché qui fonctionne, tout potentiel goulot d’étranglement déclencherait automatiquement des investissements. En réalité, les projets de développement prennent bien trop longtemps pour remédier aux pénuries à court terme. Mais nous critiquons surtout le fait que les propositions actuelles de l’OFEN se concentrent presque exclusivement sur la sécurité de l’approvisionnement, tandis que les objectifs de la Stratégie énergétique 2050 et les objectifs climatiques passent à l’arrière-plan. Or, si l’on en tient compte, la recette pour faire face à une pénurie d’électricité ne peut se limiter aux importations, car l’électricité européenne présente un bilan carbone lourd.

Quelles sont les autres considérations que Swiss­power fera valoir dans la discussion politique relative au concept de marché?

Le concept de marché futur doit aussi tenir compte des potentiels majeurs du couplage des secteurs. En tant qu’entreprises multi-fluides, les services industriels sont prédestinés à jouer un rôle déterminant dans ce contexte. Je pense à l’interaction intelligente des différents réseaux et à tous les types de stockage. Les dispositifs de pompage-turbinage à eux seuls ne suffisent pas au stockage saisonnier. Un rôle important reviendra aux nouvelles technologies telles le power-to-gas et le power-to-heat afin de transférer l’énergie renouvelable excédentaire de l’été à l’hiver. Il faut pour cela que les différentes technologies bénéficient du même traitement en termes de coûts de réseau. Nous plaiderons en outre pour un aménagement plus efficace du marché de l’énergie de réglage. Il doit créer des incitations adaptées à investir dans des capacités de production supplémentaires – y compris décentralisées –, dans des solutions de stockage et dans le pilotage intelligent de la consommation.

La ministre de l’énergie Doris Leuthard parle d’ouvrir pleinement le marché de l’électricité aussi vite que possible…

Les services industriels n’ont pas à craindre la concurrence. Mais nous ne pouvons accepter une ouverture du marché que si tous les acteurs font face aux mêmes conditions. Cela impliquerait par exemple de fixer pour l’électricité à bilan de carbone défavorable un prix adapté – au moyen d’une taxe sur le CO2 ou d’une redevance différenciée sur l’énergie. En parallèle, il faut également disposer avec l’UE d’un accord sur l’électricité satisfaisant et pleinement finalisé.

Quel est le processus d’élaboration de la position de Swisspower concernant le concept de marché?

Depuis novembre, un groupe de travail réunit des participants de différents services industriels. Il a tout d’abord défini les objectifs auxquels doit répondre un futur concept de marché et les a ensuite confrontés à différents modèles. Aujourd’hui, nous tentons de combiner les meilleurs éléments de différents modèles et de les compléter par nos propres suggestions. Il résultera de ce processus un exposé de position qui sera soumis pour consultation à tous les actionnaires et devra enfin être adopté par le Conseil d’administration. La position consolidée de Swisspower sera ensuite présentée très activement dans le cadre du débat politique – auprès du public, de nos associations partenaires telles l’AES, et bien entendu de l’administration, du Conseil fédéral et du Parlement.