«Saisir les opportunités est tout aussi important qu’éviter les risques»

En raison de la pandémie du Covid-19, Swisspower a dû renoncer à fêter cette année ses 20 ans d’existence. Au lieu de cela, l’alliance stratégique a travaillé avec grand engagement à de nouveaux projets de coopération. Son CEO Ronny Kaufmann explique dans cet entretien pourquoi la collaboration devient encore plus importante dans le secteur de l’énergie et pourquoi il souhaiterait que les services industriels fassent preuve d’une plus grande ouverture au risque.

Où en est Swisspower aujourd’hui, 20 ans après sa création?

Ronny Kaufmann: En tant qu’alliance stratégique, nous sommes en pole position pour l’avenir. En effet, notre actionnariat de services industriels multi-énergies nous rend unique. Il n’existe pas d’organisation comparable dans le secteur suisse de l’énergie, que ce soit en termes de puissance de marque ou en termes d’actionnariat. La transformation du secteur énergétique agit sur notre modèle commercial comme un turbo. Les efforts de libéralisation du Conseil fédéral pour les marchés de l’électricité et du gaz, la numérisation croissante de tous les domaines de notre société, la nécessité de compenser du moins en partie la baisse des revenus dans nos cœurs de métier par de nouvelles offres et prestations, ainsi que la pression croissante sur les prix nous amèneront à nous rapprocher encore plus au sein de l’alliance Swisspower. Dans un monde de l’énergie de plus en plus complexe, la réussite appartiendra aux entreprises qui exploitent des synergies avec d’autres organisations. Avec nos offres, nous créons de telles synergies et améliorons le positionnement concurrentiel de nos actionnaires.

La première coopération des services industriels remonte à 2011: il s’agit de Swisspower Renewables. Entre-temps, il existe plusieurs autres coopérations Swisspower. À vos yeux, quelles sont les principales réussites – et les principales difficultés – des coopérations entre services industriels?

Swisspower Renewables s’est extrêmement bien développée. Le succès de cette coopération se mesure aussi au fait qu’en 2017 un investisseur financier de renom s’y est impliqué en tant qu’actionnaire. Nous sommes en train d’écrire encore une success story avec Swisspower Cybersecurity. Nous l’avons lancée pour permettre à nos actionnaires de réduire les risques opérationnels que présente la numérisation, indépendamment des grandes opportunités qu’elle crée. Il est peu surprenant que cette initiative rencontre un grand intérêt: la résistance aux cyberattaques ne fait pas partie du cœur de métier des services industriels et constitue un défi d’un nouvel ordre. Ce genre de coopérations auxiliaires a du succès. Je nomme ainsi en même temps l’une de nos difficultés. Pour le moment, nous n’avons pas encore réussi à réaliser une coopération qui concerne le cœur de métier des services industriels et dont le levier se situerait par exemple du côté des coûts.

À quoi songez-vous?

Je pense par exemple à des solutions communes d’architecture informatique ou à une organisation d’achat commune pour les véhicules ou le matériel. Il existe là un potentiel important de réduction des coûts par la coopération. Mais les services industriels se concentrent encore trop sur des solutions individuelles, alors qu’il existe objectivement d’innombrables points communs – y compris dans les processus clé.

Le secteur suisse de l’énergie est en plein processus de transformation. Comment évaluez-vous la puissance d’innovation des services industriels?

Je pense parler aussi au nom des services industriels si je dis que la puissance d’innovation n’est pas encore ce qu’elle devrait être. Il existe un constat partagé quant au fait que les services industriels doivent devenir plus innovants et que le statu quo ne suffira pas à maintenir leur succès. C’est pourquoi nous avons lancé la coopération Swisspower Innovation, qui se développe bien. Il faut maintenant passer à l’étape suivante: les services industriels doivent se montrer prêts à prendre plus de risques.

Qu’entendez-vous par là?

Il est évident pour certains business cases que les fournisseurs d’énergie devraient y investir aujourd’hui parce que cette prestation ou cette technologie sera nécessaire à l’avenir. Mais il est difficile d’évaluer à partir de quand il sera possible de réaliser des bénéfices – et quel sera leur montant. C’est en cela que consiste le risque. Les structures de gouvernance des services industriels ont pour conséquence qu’ils ne prennent que de faibles risques et ont tendance à «renoncer» plutôt qu’à agir en tant qu’entrepreneurs courageux. Un exemple: le prix du biogaz devrait très probablement augmenter en raison de la forte demande. D’un point de vue entrepreneurial, il faudrait investir dans des installations de biogaz et accepter le risque de prix de marché inchangés voire en baisse. Mais beaucoup de fournisseurs de gaz considèrent le prix du biogaz comme une variable externe. Un prix plus élevé est simplement répercuté sur leur clientèle. Ils ne se saisissent pas de l’opportunité de se rendre plus indépendants de l’évolution des prix du marché et d’établir à l’avenir une position de marché plus forte grâce à un biogaz qu’ils auraient eux-mêmes produit.

Mais la plupart des services industriels ne peuvent pas décider tout seuls de tels investissements. Ce sont souvent les instances politiques qui hésitent à prendre des risques.

Je recommande à ces instances d’accorder plus d’attention à la valeur d’entreprise de leurs services industriels. Cette valeur doit être au cœur des décisions d’investissement. La transformation du secteur de l’énergie nécessite de nouveaux modèles commerciaux et de nouvelles prestations. Les services industriels font donc face à des risques inédits et il faut établir un dialogue autour de la notion de risque. Car pour la valeur d’entreprise, une opportunité non saisie est aussi dommageable qu’un risque non évité. Le deuxième message que j’adresse aux instances politiques est que les risques peuvent être diversifiés par le biais de coopérations, comme le démontrent entre autres Swisspower Renewables et l’installation power-to-gas de Limeco.

Ronny Kaufmann, CEO de Swisspower SA
Ronny Kaufmann, CEO de Swisspower SA
«On ne peut pas libéraliser et penser que les forces du marché à elles seules assureront un développement suffisant des énergies renouvelables.»

L’avenir des services industriels est fortement tributaire de la politique énergétique et de la réglementation. Quels sont les dossiers de politique énergétique dans lesquels vous allez particulièrement vous impliquer dans les temps à venir?

En premier lieu la libéralisation complète des marchés de l’électricité et du gaz prévue par le Conseil fédéral. Notre message est qu’il faut impérativement prévoir des mesures d’accompagnement pour la production indigène d’électricité et de gaz renouvelables, par exemple des dispositifs d’incitation et d’encouragement. C’est la seule manière d’atteindre les objectifs de la Stratégie énergétique 2050 et de la loi révisée sur le CO2. On ne peut pas libéraliser et penser que les forces du marché à elles seules assureront un développement suffisant des énergies renouvelables. Je suis donc très sceptique quant à l’utilité d’une libéralisation complète des marchés de l’électricité et du gaz pour l’atteinte des objectifs de politique énergétique et climatique de la Suisse. Je suis impatient de voir comment l’électorat se positionnera car je m’attends à un référendum. Deuxièmement, nous nous impliquons en faveur d’une stratégie fédérale dans le domaine de la chaleur qui mise sur le couplage des secteurs, donc par exemple aussi sur l’hydrogène. Troisièmement, nous demandons une réglementation lisible et applicable dans le domaine de l’énergie. Aujourd’hui, sa complexité dépasse même les spécialistes.

Quels sont les projets que vous vous réjouissez déjà d’aborder en 2021?

J’espère d’une part qu’en 2021 nous parviendrons à faire avancer d’un grand pas la biogénisation du réseau gazier suisse et nous planifions à cet effet la création d’une nouvelle société. D’autre part, nous visons par le biais d’une nouvelle coopération le développement d’un portefeuille d’installations photovoltaïques en haute montagne. Nous évaluons actuellement des projets concrets dans les Grisons et dans le Valais. Nous nous engageons aussi auprès de la Confédération pour de nouveaux dispositifs d’incitation aux investissements dans la production indigène d’énergies renouvelables, surtout en hiver. Car il s’agit là d’un élément essentiel de la transition énergétique. Et enfin, j’espère que nous pourrons rattraper comme prévu la célébration des 20 ans de Swisspower le 14 septembre 2021, afin de regarder vers l’avant avec nos actionnaires et nos partenaires. Je suis convaincu que les dix années à venir seront les plus importantes pour la transformation du système énergétique suisse et que c’est dans la collaboration au sein du secteur et au-delà que réside la clé de notre réussite.