«Il faut des incitations réglementaires au stockage saisonnier»

Interview avec Thomas Peyer, directeur des prestations énergétiques de Swisspower SA

Tout le monde parle aujourd’hui du couplage des secteurs – y compris la politique. Mais qu’en est-il de sa mise en œuvre pratique?

Thomas Peyer: Le couplage des secteurs est la clé pour évoluer vers un système énergétique avec des énergies renouvelables. Cependant, la Berne fédérale se montre jusqu’à présent peu active en la matière. J’ai l’impression que de nombreux politiciens et politiciennes parlent de couplage des secteurs sans avoir encore pleinement saisi sa signification fondamentale et la nécessité d’une convergence des réseaux[1]. Le couplage des secteurs ne revient pas simplement à transformer de l’électricité en chaleur avec une pompe à chaleur.

Qu’attendez-vous du Parlement afin de faire avancer le couplage des secteurs?

Dans ses délibérations portant sur la loi sur le marché de l'électricité, il doit aussi réfléchir aux autres vecteurs et réseaux énergétiques, et aménager la réglementation de manière aussi neutre que possible en termes de technologie. L’électrification complète de l’énergie finale n’est pas judicieuse. Une stratégie combinée électricité-gaz aurait plus de sens pour la Suisse. Aujourd’hui, il manque pour cela des conditions cadre claires en matière de politique énergétique, en particulier pour les installations power-to-gas et pour l’importation de gaz renouvelables. Beaucoup de questions demeurent en suspens, ainsi la reconnaissance de la plus-value écologique du gaz de synthèse de production domestique ou importé, ou le traitement du procédé power-to-gas en tant que technologie de stockage. Il faut des incitations réglementaires au stockage saisonnier.

Quelle forme pourraient prendre ces incitations?

En premier lieu, il s’agit de remédier au déséquilibre réglementaire entre les centrales à pompage-turbinage et les installations power-to-gas. Aujourd’hui, l’électricité servant au pompage-turbinage est exonérée de redevance de réseau. En revanche, le procédé power-to-gas est soumis à des redevances d’utilisation de réseau si la production d’électricité ne s’effectue pas sur place. Nous demandons donc que tous les types de stockage soient traités de la même manière tant qu’ils réinjectent l’énergie dans le réseau électrique ou dans d’autres réseaux d’énergie. Tous doivent être exonérés de redevance de réseau. Idéalement, cette dernière devrait être aménagée de façon globale pour différents réseaux d’énergie, de manière à n’être due qu’une seule fois au moment de la consommation d’énergie.

Le procédé power-to-gas va-t-il vraiment revêtir une grande importance en tant que technologie de stockage dans les années à venir? Une étude de l’OFEN montre que l’approvisionnement en électricité de la Suisse ne présente pas de problème de puissance dans un avenir prévisible.

Il nous faut nous attaquer dès aujourd’hui aux solutions de stockage de demain. Car les projets d’infrastructure présentent d’importants effets d’apprentissage et d’échelle. Il faut du temps pour optimiser les technologies et baisser les coûts. De plus, dans ses scénarios la Confédération mise fortement sur des importations d’électricité en hiver. Cela est doublement problématique: d’une part en termes de sécurité de l’approvisionnement et d’autre part parce que l’électricité importée présente un bilan carbone très élevé. Le problème de puissance ne peut pas être résolu en comparant la puissance installée et la puissance consommée. Le paramètre déterminant sera la flexibilité, c’est-à-dire la capacité à faire concorder production et consommation dans le temps et en termes de quantité. Le procédé power-to-gas contribue à augmenter la flexibilité et à réduire le volume des importations d’électricité. Lors du transfert saisonnier d’électricité estivale à du gaz hivernal, en hiver les installations de CCF optimisées pour la production de chaleur permettent par ailleurs d’utiliser le gaz avec un degré de rendement très élevé supérieur à 90%.

Où en est le projet de centrale hybride de Limeco à Dietikon?

Le projet progresse comme prévu. Toutes les communes impliquées ont donné leur feu vert. Les services industriels Swiss­power coopérants ont précisé leurs engagements d’achat. Les deux permis de construire pour la conduite de gaz et la centrale hybride elle-même ont été accordés. Nous avons trouvé une bonne solution pour les rejets thermiques de l’électrolyse, des compresseurs et de la méthanation: ils seront injectés dans le réseau de chauffage urbain. La demande de reconnaissance du gaz renouvelable est en cours de traitement auprès de la Direction générale des douanes. Etant donné qu’à Dietikon l’électricité pour l’électrolyse provient directement de l’usine locale d’incinération des déchets, le contrôle de la provenance du courant est simple. Le lancement des travaux est prévu au printemps 2019 et les travaux dureront environ un an.

[1] La convergence des réseaux est l’imbrication technique et automatisée de l’infrastructure des réseaux d’électricité, de gaz et de chaleur.