Peu après votre entrée en fonction début 2022, vous avez directement été confrontée à la crise du gaz, comment avez-vous vécu cela?
Cornelia Mellenberger: bien sûr, je m’attendais à un autre démarrage. En raison du coronavirus, nous avons d’abord dû repousser les visites chez les gros clients et partenaires. Puis, lorsque la pandémie a commencé à s’atténuer, la crise en Ukraine démarra. Il va de soi que cette situation concerne en premier lieu les Ukrainiens, auxquels la guerre inflige tant de souffrances. Par ailleurs, la situation actuelle préoccupe énormément Energie Wasser Bern, l’ensemble de la branche et la société dans son ensemble. La sécurité d’approvisionnement revêt désormais une tout autre importance.
Avec la guerre en Ukraine et en ce qui concerne le marché du chauffage, le gaz n’a actuellement pas bonne presse dans l’opinion publique. Quel avenir voyez-vous pour l’approvisionnement en gaz?
Le gaz renouvelable a certainement un rôle à jouer. Que de plus en plus de clientes et de clients montrent de l’intérêt pour le chauffage à distance ou pour une autre solution de chauffage durable nous réjouit et confirme notre stratégie. Mais une conversion n’est pas toujours immédiatement réalisable. Pour la clientèle d’entreprises, le gaz reste une énergie de production, il n’est pas simple pour elle de passer facilement à une autre source d’énergie. En ce qui concerne les clients privés, le plan directeur de la ville de Berne prévoit les zones dans lesquelles il est par exemple possible de passer au chauffage à distance. Nous avons donc pour objectif de redimensionner les ventes de gaz via l’extension du réseau de chauffage à distance, afin de pouvoir mettre en œuvre la décarbonisation dans le cadre de la stratégie climatique. En plus de la transformation vers autant de gaz renouvelable que possible, un autre objectif central est l’indépendance vis-à-vis du gaz russe. Nous avons mis en place les premières mesures en augmentant nos capacités de stockage existantes en France. En outre, nous travaillons activement à élargir nos sources d’approvisionnement. Nous avons récemment obtenu des certificats d’origine pour du gaz naturel de la mer du Nord pour un volume d’achat annuel de 700 GWh à partir du 1er octobre 2022 jusqu’au 30 septembre 2025. Ainsi, Energie Wasser Bern sera en mesure de remplacer le gaz russe restant par des alternatives en provenance de la mer du Nord, via des certificats d’origine. Un autre levier majeur pour réduire l’utilisation de gaz fossile, respectivement de gaz russe, est d’augmenter l’efficacité énergétique et d’accélérer son déploiement. Nous soutenons également nos clientes et nos clients dans ce domaine. La situation actuelle nous encourage donc à opérer rapidement la transition énergétique.
Vous avez participé à l’inauguration de l’installation Power-to-Gas de Limeco. En achetant le gaz renouvelable, Energie Wasser Bern a rendu le projet possible. Votre entreprise continuera-t-elle à investir dans l’écologisation du marché du gaz? Ou est-ce plus judicieux de concentrer ses efforts sur le développement du chauffage à distance et la production d’électricité renouvelable?
En situation de crise, il est important de ne pas se précipiter – l’approvisionnement en énergie a toujours été axé sur le long terme et se fait dans des rapports de grande dépendance. Nous investissons sur des générations. Il n’y a donc pas lieu de changer de cap de manière précipitée. La situation actuelle nous conforte plutôt dans notre stratégie. Il est important pour moi de placer notre cœur de métier au centre de notre action. Nous souhaitons continuer à investir dans des innovations proches de notre cœur de métier et collaborer de manière ciblée avec des partenaires. L’installation Power-to-Gas à Dietikon est un exemple parfait: elle résulte des efforts communs de Limeco, des huit fournisseurs d'énergie impliqués dans le projet et de Swisspower. Pour donner un coup d’accélérateur à la transition énergétique, nous devons jouer sur tous les tableaux en misant sur toutes les technologies qui s’offrent à nous. Il ne s’agit pas d’éliminer l’une ou l’autre technologie, mais plutôt d’utiliser aussi bien l’une que l’autre.
«Les personnes souhaitant donner un sens à leur travail sont de plus en plus nombreuses. En tant qu’EAE, nous sommes très en avance sur ce point.»
Le secteur de l'électricité vous réserve également quelques défis comme, entre autres, les prix élevés du marché et la menace d’une pénurie d’électricité en hiver. Energie Wasser Bern compte adopter quelle stratégie face à cette situation?
La sécurité d’approvisionnement en électricité est absolument essentielle pour notre société et notre bien-être. Il s’agit d’une tâche qui incombe à la société dans son ensemble. L’action peut se faire à différents niveaux: par exemple, en investissant dans une meilleure efficacité énergétique dans tous les secteurs de l’économie, en réalisant des économies d’électricité, mais aussi via une accélération du développement de l’énergie hydraulique par la politique et l’administration. Bien entendu, Energie Wasser Bern est également exposé aux prix élevés du marché. Notre comité des risques définit notamment des fourchettes dans lesquelles nous pouvons évoluer dans le cadre du négoce d’électricité. Ainsi, le commerce spéculatif n’est pas autorisé. Mais globalement, je pars du principe que nous devrons nous préparer à une nouvelle hausse des prix de l’énergie. L’énergie hydraulique est pour nous d’autant plus importante. Elle est notre instrument le plus efficace contre la pénurie d’électricité en hiver. Le potentiel de l’énergie hydraulique reste important, tant en tant qu’énergie renouvelable qu’en tant que technologie de stockage. Utiliser son potentiel et éliminer les obstacles, notamment en accélérant les procédures d’autorisation, sont nos priorités.
Le secteur de l’énergie souffre d’une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, surtout dans les métiers techniques. Comment les services industriels parviennent-ils à attirer cette main-d’œuvre très convoitée?
En nous positionnant davantage comme des entreprises modernes, tournées vers l’avenir et agissant au service du bien commun. Notre branche est en pleine mutation, et ce, pour accomplir une mission essentielle. Elle offre des emplois ayant véritablement du sens: nous travaillons pour les futures générations. Ce n’est pas forcément le cas dans beaucoup d’autres branches. Les personnes souhaitant donner un sens à leur travail sont de plus en plus nombreuses. En tant qu’EAE, nous sommes très en avance sur ce point. Il s’agit maintenant de saisir cette opportunité en adaptant par exemple les méthodes de recrutement: je vois souvent des offres d’emploi encore très techniques et nous avons certainement une marge de progression dans ce domaine. Nous devons aussi proposer un développement du personnel adéquat, valoriser nos collaborateurs ainsi que leur travail quotidien.
Votre prédécesseur Daniel Schafer a rejoint BLS, vous êtiez vous-même membre de la direction de CFF et avez pris désormais la direction d’Energie Wasser Bern. Il existe manifestement des parallèles entre les deux branches. Que faut-il pour diriger avec succès une entreprise proche de l'État dans un environnement politiquement marqué?
Dans les deux branches, l’objectif premier est la sécurité d’approvisionnement - et de la concilier au mieux avec les deux autres objectifs que sont la durabilité et la viabilité financière. C'est l’une de nos principales missions en tant que direction d’entreprise. Il s’agit de maintenir l’équilibre entre les droits de participation et les conditions-cadres de la politique d’une part, et la liberté d’entreprendre d’autre part. Travailler dans le secteur de l’approvisionnement, à savoir dans le service public et vendre des prestations et des produits sur le marché libre, où les règles du jeu sont différentes ne se fait pas de la même manière et il faut en être conscient. Le fait que l’entreprise soit orientée de manière multidimensionnelle selon différents objectifs apporte certes une certaine complexité, mais rend aussi le travail passionnant.
Comment y parvenez-vous?
En ajoutant aux trois grands axes de la politique énergétique, à savoir sécurité d’approvisionnement, durabilité et viabilité financière, un quatrième axe qu’est la collaboration. À mon avis, elle a un rôle majeur à jouer dans la transition énergétique: en tant qu’EAE, nous constatons que beaucoup de choses ne fonctionnent que grâce à la collaboration avec des partenaires. Cela commence par nos réseaux qui sont reliés à ceux d’autres gestionnaires de réseaux. Parmi nos partenaires, je compte également les organisations de la branche, les interlocuteurs politiques et surtout la population. Nous comptons particulièrement sur son soutien pour mener à bien nos projets de construction. Nous investissons un demi-milliard de francs rien que dans le développement du chauffage à distance dans la ville de Berne. Un projet d’une telle envergure ne peut être que le fruit d’une bonne collaboration.
Quels sont les avantages de la coopération dans le cadre de Swisspower?
En tant que représentant de la branche des services industriels suisses, Swisspower nous offre une plateforme pour le lobbying politique au niveau fédéral et nous fournit des bases ou des positions pour le lobbying au niveau des cantons et des villes. Swisspower remplit une tâche importante et précieuse en créant, pour nous en tant qu’EAE, de bonnes conditions-cadres. Mettre en place dans notre branche des formations continues tournées vers l’avenir en fait par exemple partie. Nous, les services industriels, devrions être très étroitement connectés entre nous, nous présenter de manière uniforme dans les processus politiques et, dans la mesure du possible, concernant les grands thèmes, parler d’une seule voix face aux médias. Cela nous permettra de gagner en efficacité et rapidité. Et ce, tout en sachant que nous sommes en partie des entreprises très différentes avec des conditions-cadres différentes, ce qui peut aussi conduire à des positions divergentes. Swisspower est aussi une plateforme importante pour la mise en réseau et l’échange entre les EAE ainsi que pour la réalisation de projets communs. De mon point de vue, l’implication de tous les actionnaires dans différents projets n’est pas toujours indispensable mais Swisspower offre là une plateforme d’échange. Il est parfois plus fructueux de lancer dans un premier temps un projet de manière ciblée avec peu de partenaires, de le mettre rapidement sur pied, pour, dans un deuxième temps, faire participer d’autres entreprises intéressées.
Qu’attendez-vous de Swisspower? En d’autres termes, que faut-il pour que vous soyez satisfaite du travail de Swisspower?
Il faut que Swisspower soit perçu comme une voix forte de la branche et nous représente dans des domaines où nous ne sommes pas directement impliqués, en particulier au niveau fédéral. Swisspower doit s’impliquer de manière proactive afin d’accélérer la transition énergétique. Et ce, en se concentrant sur le contenu et l’effet escompté plutôt que sur le processus politique.