«La direction est la bonne mais elle doit encore être ajustée»

Le 3 avril 2020, le Conseil fédéral a ouvert la consultation relative à la nouvelle loi sur l’énergie et a adopté des points clés pour la révision de la loi sur l’approvisionnement en électricité (LApEl). Jan Flü­cki­ger, directeur des affaires publiques et de la communication, explique les aspects positifs et les points critiques de ces projets du point de vue de Swisspower.

Êtes-vous satisfait du projet de révision de la loi sur l’énergie?

Il contient quelques points positifs. Le Conseil fédéral souhaite rendre contraignants les objectifs de développement de la production d’électricité renouvelable. Il veut par ailleurs maintenir les contributions d’investissement pour les installations de petite taille et augmenter les contributions pour la grande hydraulique. Et pour les grandes installations photovoltaïques, les contributions doivent à l’avenir être attribuées sur la base d’appels d’offres concurrentiels. Malgré tout, des améliorations sont encore nécessaires.

Selon vous, quels points le Conseil fédéral devrait-il revoir?

D’une part, il s’agit de l’aménagement concret des appels d’offres pour les grandes installations. Nous sommes d’avis que, plutôt que d’accorder des contributions d’investissement, il faut sécuriser les risques d’investissement, par exemple au moyen d’une prime de marché variable. Il y a trois raisons à cela: premièrement, ce n’est pas le capital qui manque aux grands investisseurs. Si les investissements dans les grandes installations en Suisse sont trop faibles, c’est par manque de sécurité par rapport aux risques du marché – c’est-à-dire des prix de l’électricité en forte baisse. Deuxièmement, une prime de marché variable est plus efficiente d’un point de vue économique: elle n’entre en jeu que si les prix de marché sont effectivement inférieurs aux coûts de revient proposés. Et troisièmement, une rémunération basée sur la quantité d’électricité livrée permet d’encourager de manière plus ciblée la production d’électricité hivernale.

Quels sont les autres points critiques?

De notre point de vue, en ce qui concerne les grandes installations le projet est trop concentré sur la photovoltaïque. Les appels d’offres devraient être possibles pour toutes les technologies à partir d’une certaine taille, en différenciant bien entendu leur aménagement selon les technologies. Le projet laisse par ailleurs en suspens une question importante: comment sera financé à l’avenir le renouvellement de la grande hydraulique – colonne vertébrale de notre approvisionnement en électricité? Et enfin, il nous semble regrettable que les taxes d’incitation ne soient actuellement plus à l’ordre du jour.

En même temps, le Conseil fédéral a aussi adopté les points clés concernant la LApEl. Il y va entre autres de l’ouverture complète du marché de l’électricité. Quelle est la position de Swisspower?

Nous avons toujours dit que l’ouverture du marché ne devait pas être considérée de manière isolée mais dans le contexte des incitations à investir dans les énergies renouvelables indigènes. Il est donc trop tôt pour un verdict définitif. Nous discuterons de cette question lorsque le message définitif concernant la loi sur l’énergie sera présenté. La question se pose également de savoir à quel point l’approvisionnement de base doit encore être réglementé dans un marché ouvert.

Comment évaluez-vous les autres décisions du Conseil fédéral concernant la LApEl?

Nous sommes étonnés que le Conseil fédéral persiste dans la libéralisation du système de mesure alors que la consultation a indiqué que celle-ci ne bénéficie pas d’un large soutien. L’exemple d’autres pays donne à voir que le bénéfice économique est sans commune mesure avec les coûts. Il est difficile pour les services industriels d’être tenus légalement de faire avancer le déploiement des compteurs intelligents et de se voir retirer en même temps la responsabilité des systèmes de mesure. Il y a là une contradiction majeure.

Que pensez-vous de la «sandbox» réglementaire que souhaite créer le Conseil fédéral?

Cette proposition est très positive. Dans le domaine de la numérisation en particulier, de nombreux projets échouent dû à la réglementation actuelle. Une telle «sandbox» permet de mettre des solutions à l’essai. La situation est la même pour les technologies de stockage novatrices comme les installations power-to-gas.

Concernant le stockage: le Conseil fédéral veut classer les dispositifs de stockage en général en tant que consommateurs finaux. Qu’en pensez-vous?

Cela cimente l’inégalité de traitement qui existe aujourd’hui entre les technologies de stockage. Le pompage-turbinage bénéficie d’un traitement de faveur par rapport à d’autres technologies. Ce n’est pas acceptable. Un dispositif de stockage qui soutire de l’énergie au réseau et la réinjecte doit seulement être redevable d’une redevance de réseau sur les déperditions. De notre point de vue, cela devrait également être le cas pour les stockages intersectoriels comme les installations power-to-gas, qui réinjectent l’énergie convertie dans un réseau public. Car ils contribuent de manière essentielle d’une part à décarboniser les secteurs de l’industrie, de la chaleur et des transports et d’autre part à résoudre le problème du stockage saisonnier. Sur ce point, nous attendons que les instances politiques revoient leur position.

Quelles sont les prochaines étapes pour les deux projets?

La consultation relative à la loi sur l’énergie est en cours jusqu'au 12 juillet 2020. Swisspower s’y impliquera au sein du groupe de travail «Conception du marché de l’électricité» et prendra certainement aussi une nouvelle fois position concernant les points critiques de la LApEl. Le Conseil fédéral devrait présenter ses messages concernant les deux lois en fin d’année. À notre avis, les deux dossiers devraient être associés ou du moins traités simultanément au Parlement, car ils sont fortement liés sur le fond.