Tarification dynamique de l’électricité : « Le système tarifaire de demain devra se fonder sur la charge du réseau »

Elle est considérée comme instrument important d’un futur système énergétique décentralisé. Mais à ce jour, la tarification dynamique de l’électricité relève plutôt de la théorie. Un projet de Swisspower vise aujourd’hui à la concrétiser. Gabriel Chavanne, responsable de projet Coopérations & Innovation, nous en dit plus.

Quels arguments plaident en faveur du remplacement des actuels tarifs statiques de l’électricité par des tarifs dynamiques ?

Gabriel Chavanne : La transformation et la décarbonation du système énergétique nécessitent une électrification plus poussée. En même temps, la production d’électricité se décentralise et devient plus volatile. Il en résulte pour le réseau électrique des pics de charge différents et surtout plus marqués qu’aujourd’hui. Réagir à ce constat par un simple développement du réseau est problématique en termes économiques. Il faut aussi mettre en place des mesures pour piloter la demande. Outre un contrôle direct de charge, on peut se servir du levier de la tarification. La tarification dynamique de l’électricité joue ici un rôle clé : contrairement à une tarification statique, elle crée pour les consommatrices et les consommateurs d’électricité une incitation à opérer leurs unités de consommation les plus puissantes de manière à décharger le réseau.


Quelle forme doit prendre une tarification de ce type afin de mener véritablement à des comportements utiles au réseau ?

La décharge du réseau doit être placée au centre des préoccupations. L’UE a par exemple opté pour un autre système, axé sur la production d’énergie par le couplage des tarifs dynamiques aux prix du marché du moment. Lorsque les prix sont élevés, les consommateurs·rices cherchent à décaler leurs charges. Ils maximisent leur consommation d’électricité en période de prix de marché bas. Mais ce mécanisme présente un inconvénient de taille : il peut aller jusqu’à renforcer les pics de charge.


Pourquoi ?

Supposons une journée de grand soleil et de vent soutenu, pendant laquelle les installations photovoltaïques et les turbines éoliennes fonctionnent à plein régime. Le prix du marché et par conséquent le tarif dynamique sont bas, afin qu’une quantité aussi importante que possible du courant disponible se vende. Les consommateurs·rices optimisent leur consommation dans le temps de manière à utiliser de l’électricité pendant les périodes de bas tarifs – par exemple en milieu de journée. Il en résulte cependant des pics de charge plus élevés dans le réseau de distribution.


À quoi ressemblerait une meilleure approche ?

Dans l’idéal, la tarification dynamique de l’électricité doit tenir compte des deux aspects – le réseau et l’énergie. Selon nous, le système tarifaire ne devrait pas se baser seulement sur l’offre d’électricité mais avant tout sur la charge du réseau en temps réel. C’est l’idée centrale du projet que nous avons lancé il y a peu avec cinq services industriels et la Zürcher Hochschule für angewandte Wissenschaften (ZHAW). Des signaux de prix au service du réseau seront publiés en ligne par le biais d’une interface. Afin de pouvoir utiliser ces signaux de prix et bénéficier de prix avantageux, les consommateurs·rices doivent opérer chez eux un Home Energy Management System. Ce système se charge automatiquement de toutes les démarches nécessaires – sans que les consommateurs·rices n’aient à suivre les prix et à ajuster eux-mêmes l’opération de leurs grandes unités de consommation. En collaboration avec des clientes et des clients test, nous vérifions dans le cadre du projet comment ce modèle fonctionne dans la pratique.


Quels sont les arguments en faveur de cette approche ?

Lorsque les économies rendues possibles par une tarification dynamique sont faibles, les clientes et les clients n’adaptent que très peu leurs comportements de consommation. En revanche, si le système de tarification dynamique est automatisé de manière à ne nécessiter aucune décision active de la part de la clientèle, l’impact est nettement plus important. Le défi consiste à convaincre les consommateurs·rices d’installer chez eux un Home Energy Management System capable de recevoir et de traiter le signal de prix dynamique.



«Le défi consiste à convaincre les consommateurs·rices d’installer chez eux un Home Energy Management System capable de recevoir et de traiter le signal de prix dynamique.»


Comment fonctionne ce système de l’autre côté – chez les gestionnaires de réseau ?

Par le biais d’une interface, ils publient la veille le tarif dynamique. Ce tarif est calculé par un algorithme en fonction de la charge de réseau prévue. La courbe de charge de chaque client·e est relevée au moyen de compteurs intelligents et les données sont traitées à des fins de facturation. Le projet simplifie encore ces deux étapes de travail. Nous nous chargeons par exemple de la publication du tarif par le biais de l’interface que nous avons développée afin de minimiser l’effort à fournir par les gestionnaires de réseau.


Vous avez évoqué que les économies que permet de réaliser une tarification dynamique
sont possiblement faibles. Cela vaut-il la peine pour les clientes et les clients d’investir dans un Home Energy Management System ?

Cela reste à voir. À moyen terme, les consommateurs·rices réduiront leurs coûts grâce à l’optimisation de leur consommation d’électricité rendue possible par une tarification dynamique. Nous ne savons cependant pas exactement quelle sera l’ampleur de ces économies. Cela dépend aussi de l’aménagement concret des tarifs. Mais notre objectif est clair : à moyen terme, le système doit se justifier. Sinon la clientèle n’aura pas d’intérêt à opérer la bascule tant que le dispositif reste volontaire.


Quels obstacles réglementaires doit encore franchir la tarification dynamique ?

Les gestionnaires de réseau peuvent aujourd’hui déjà proposer un tarif dynamique comme tarif au choix tant qu’il est disponible de manière homogène à toutes les clientes et tous les clients de la zone de réseau. En revanche, les tarifs à différenciation géographique nécessitent des ajustements législatifs. Avant d’en donner l’impulsion, le secteur de l’énergie a besoin d’arguments solides à soumettre dans la discussion politique.


Cela fait longtemps que le secteur de l’énergie parle de tarification dynamique de l’électricité. Pourquoi la Suisse n’est-elle pas plus avancée dans ce domaine ?

Je vois trois raisons à cela. Premièrement, la tarification dynamique ne joue pas encore de rôle dans la manière dont les gestionnaires de réseau gèrent les problèmes de congestion. Deuxièmement, les gestionnaires de réseau ne savent actuellement pas quels client·e·s disposent déjà de quel type de Home Energy Management System. Ils ne savent donc pas où leur signal de prix peut être reçu. Troisièmement, comme je le disais plus haut, jusqu’à présent la réflexion dans ce domaine se concentrait sur l’optimisation énergétique. Il y avait donc peu d’incitations à faire avancer des projets visant l’introduction de tarifs de réseau dynamiques. Notre projet les positionne de manière nouvelle – comme instrument permettant de contrer la surcharge du réseau et de favoriser la sécurité de l’approvisionnement.


Quelles sont les prochaines étapes de votre projet ?

La première phase du projet porte sur l’aménagement concret des tarifs : de manière adaptée aux différentes zones de réseau, nous déterminons à l’aide d’un algorithme la tarification dynamique idéale. Nous comptons lancer les tests au printemps prochain et procéder fin 2024 aux premières évaluations. Elles nous indiqueront comment ajuster les tarifs pour les phases de test suivantes. Nous devrions pouvoir présenter fin 2025 nos conclusions quant à la meilleure manière pour les gestionnaires de réseau de mettre en œuvre une tarification dynamique afin de parvenir à des comportements au service du réseau.

Vous seriez intéressé·e à participer à ce projet de Swisspower ?

Nom
Gabriel Chavanne
Fonction
Responsable de projet coopérations et innovation