Installation de liquéfaction de CO2 : Regionalwerke AG Baden fait œuvre de pionnier

Ces jours-ci, une installation unique en Suisse est mise en service régulier : l’installation de liquéfaction de CO2 à Nesselnbach (AG) valorise le CO2 séparé lors du traitement de biogaz. Afin de réaliser le projet, Regionalwerke AG Baden (RWB) et Recycling Energie AG ont fondé la société CO2 Energie AG. Nous avons discuté avec son directeur Philippe Lehmann.

Avec votre installation de liquéfaction de CO2, vous faites œuvre de pionnier : en Suisse, aucun projet comparable n’avait encore été réalisé à proximité d’une usine de traitement de biogaz. Pourquoi RWB et Recycling Energie AG ont-elles décidé de réaliser ensemble une telle installation ?

Philippe Lehmann : Dans notre usine de traitement de biogaz à Nesselnbach, nous réfléchissions déjà depuis un certain temps à la manière de valoriser le CO2 généré et d’améliorer ainsi encore notre bilan climatique. Nous sommes ainsi tombés sur le procédé de liquéfaction du CO2. Nous avons vite vu que cela fonctionnait d’un point de vue technique. Le défi principal résidait dans la rentabilité. Il a fallu un grand travail de développement pour trouver une solution qui ait du sens aux niveaux technique, écologique et économique.

Fonctionnement de l’installation de liquéfaction de CO2

Jusqu’à présent, le CO2 séparé dans l’usine de traitement de biogaz de RWB à Nesselnbach était relâché dans l’atmosphère. Aujourd’hui, il est acheminé par conduite vers la nouvelle installation de liquéfaction. En plusieurs étapes, il y est purifié, filtré et déshydraté à haute pression. L’installation refroidit ensuite le CO2 presque pur à environ -24 °C afin qu’il se liquéfie et puisse être stocké dans de grandes citernes jusqu’à son transport. Avec cette nouvelle installation, la société CO2 Energie AG peut capter environ 90 % du CO2 généré, soit jusqu’à 3000 tonnes par an. En savoir plus

Comment êtes-vous parvenus à développer un modèle commercial rentable ?

Premièrement, avec Messer Schweiz AG à Lenzbourg nous avons trouvé l’acquéreur idéal. Cette société spécialisée dans les gaz industriels nous achète le CO2 liquéfié et le revend ensuite sur le marché national du CO2. Deuxièmement, le projet bénéficie du soutien de la Fondation pour la protection du climat et la compensation de CO₂ (KliK). Celle-ci nous garantit l’achat des attestations de compensation à prix fixe pour une période définie.

Pourquoi ce procédé est-il considéré comme un évitement de CO2 ?

Parce qu’il permet de remplacer du CO2 fossile. Si Messer Schweiz AG n’obtenait pas le CO2 liquide auprès de nous, l’entreprise devrait se procurer cette quantité ailleurs, et ce CO2 d’importation provient en grande partie de sources fossiles. L’Office fédéral de l’environnement a dans un premier temps vérifié très précisément si notre projet remplissait tous les critères applicables aux attestations de compensation et si nous pouvions vraiment apporter la preuve de l’évitement de CO2. Ce n’est qu’une fois ces vérifications faites que nous avons reçu la confirmation de soutien de la Fondation KliK.

«Le business case joue un rôle central pour un tel projet. (...) D’un point de vue technique, il n’y a pas d’obstacle majeur à surmonter au début. L’important est d’adapter l’installation le mieux possible à la situation concrète sur place. (...) Il s’agit donc d’un projet de longue haleine mais tout à fait réalisable.»

Les installations de liquéfaction de CO2 sont-elles produites en série ? Ou bien l’installation a-t-elle été conçue sur mesure pour répondre à vos besoins ?

Des éléments standard existent pour les différentes étapes du processus. Mais leur intégration au sein d’un système complet se fait sur mesure. Au début du projet, nous n’avons donc pas pu visiter ou étudier d’installation comparable. Beaucoup de choses ont dû être développées spécialement pour nous. Cela s’est répercuté sur la durée et les coûts du projet.

À quels obstacles avez-vous fait face en tant que pionnier ?

Pour un tel projet, l’analyse des gaz liquides joue un rôle important ­– pour nous en tant que fournisseur d’énergie, il s’agissait à ce degré de profondeur d’un domaine tout à fait nouveau. Le CO2 liquide produit doit répondre à des caractéristiques précisément définies et être de qualité constante. Même après sa mise en service, nous optimiserons l’installation en continu. Autre obstacle rencontré : nous avons été impactés par les problèmes de chaîne d’approvisionnement. Le bâtiment dans lequel a été intégré le cœur de l’installation de la taille d’un conteneur maritime, est une structure en acier. Il n’a longtemps pas été clair si l’acier nécessaire pourrait nous être livré. L’incertitude a également plané sur d’autres composants. Nous n’avons pas eu d’autre choix que de faire preuve de souplesse et de flexibilité dans notre planification.

Que recommandez-vous à d’autres services industriels qui envisageraient également la construction d’une telle installation ?

Le business case joue un rôle central pour un tel projet. Il faut donc dès le début évaluer et contacter des acheteurs potentiels pour le CO2. Cela permet d’estimer les revenus générés par la vente du CO2. Et dans le meilleur des cas, les partenaires peuvent disposer en plus de connaissances et de savoir-faire précieux dans le domaine de l’analyse des gaz liquides. Par ailleurs, il est recommandé de faire vérifier le plus tôt possible auprès de l’Office fédéral de l’environnement la qualification du projet pour la délivrance d’attestations de compensation. Car cet aspect est également déterminant pour le business case. D’un point de vue technique, il n’y a pas d’obstacle majeur à surmonter au début. L’important est d’adapter l’installation le mieux possible à la situation concrète sur place. Ce développement prend du temps. Il s’agit donc d’un projet de longue haleine mais tout à fait réalisable.