Nouvelle loi sur le CO2 – n’a-t-elle que trop tardé ou est-elle superflue? Interview croisée avec Jürg Grossen et Christian Imark

Pour les services industriels, il s’agit de la votation la plus importante depuis la nouvelle loi sur l’énergie : le 13 juin 2021, le peuple est appelé à prendre position quant à la nouvelle loi sur le CO2. Dans notre interview croisée, deux Conseillers nationaux se positionnent : Jürg Grossen (PVL/BE) pour et Christian Imark (UDC/SO) contre.

La campagne du comité référendaire est placée sous le slogan «Rester raisonnable». De votre point de vue, qu’y a-t-il de déraisonnable dans la nouvelle loi sur le CO2?

Christian Imark : Premièrement, elle entraîne de nombreuses hausses de prix, p.ex. pour les carburants et les combustibles, sans pour autant avoir d’effet sur le climat. Deuxièmement, elle est injuste car elle ne tient pas compte des circonstances sociales des personnes; ainsi, de nombreux·ses retraité·e·s se trouveront face à des difficultés majeures pour conserver leur maison en raison des investissements nécessaires et des surcoûts. Ceux·elles qui ont les moyens d’investir dans de nouvelles technologies se préoccupent aujourd’hui déjà des questions de durabilité écologique. Ces dix dernières années, la Suisse a réduit ses émissions de CO2 par habitant·e de 24%. La tendance est donc fortement à la baisse et nous atteindrons sans problème nos objectifs climatiques. Il est bien sûr possible de promouvoir cette tendance avec des mesures ciblées de moindre envergure. Mais là, on frappe très fort et nous rejetons cette approche.

Les opposants avancent pour argument que même sans nouvelle loi sur le CO2 la Suisse fait figure d’élève modèle en termes de politique climatique. À vos yeux, pourquoi des mesures supplémentaires sont-elles nécessaires?

Jürg Grossen : La Suisse n’est pas du tout en bonne voie. Notre empreinte en matière de gaz à effet de serre est trois fois trop élevée. En ce qui concerne les énergies renouvelables, nous disposons d’un potentiel considérable que nous n’exploitons pas pleinement. Par ailleurs, en raison d’une efficience énergétique insuffisante, une grande partie de la consommation d’énergie et des émissions de CO2 ne sert à rien. Il y a du sens à engager maintenant la progression logique vers l’objectif «zéro émission nette».

La crise du coronavirus touche durement de nombreux entreprises et particuliers – et ce non seulement aujourd’hui mais probablement aussi dans les années à venir. La charge supplémentaire que représente la loi sur le CO2 est-elle justifiable dans le contexte actuel?

Christian Imark : Les conséquences financières de la crise du coronavirus ne constituaient pas à nos yeux l’argument principal en faveur du référendum. Nous l’aurions lancé de toute façon afin de montrer à la population que la loi a des incidences majeures en termes de coûts sans pour autant avoir d’effet pour le climat. Mais bien entendu, la crise sanitaire rend la situation très difficile pour certains secteurs. Quand on doit se serrer la ceinture, la question se pose d’autant plus de savoir quelles dépenses sont véritablement nécessaires et lesquelles ne le sont pas.

Jürg Grossen : Miser sur l’efficience énergétique et les énergies renouvelables n’implique pas de charge supplémentaire. Sur l’ensemble du cycle de vie, on y gagne. Les véhicules électriques par exemple ont aujourd’hui déjà des coûts globaux moindres que ceux des véhicules dotés de moteurs à combustion. La question se pose encore moins pour les entreprises car celles-ci investissent de toute façon de manière pérenne et durable. Une entreprise qui rénove aujourd’hui ses locaux fait tout pour limiter au possible ses émissions de CO2 et assurer une efficience énergétique élevée. Car les entreprises savent que si elles ne le font pas, elles devront verser une taxe sur le CO2 plus élevée – avec ou sans la nouvelle loi sur le CO2. La tendance est la même partout dans le monde car les prix des certificats climatiques internationaux augmentent. Il est de plus en plus coûteux d’occasionner des émissions de CO2.

Jürg Grossen, Conseiller national & Président des vert'libéraux
Jürg Grossen, Conseiller national & Président des vert'libéraux
«La Suisse n’est pas du tout en bonne voie. Notre empreinte en matière de gaz à effet de serre est trois fois trop élevée.»

Du point de vue des services industriels, la loi sur le CO2 a un défaut: les valeurs limite de CO2 dans le domaine des bâtiments. Dès 2023, elles rendront si peu attirante l’installation de nouveaux chauffages au gaz lors d’un remplacement que cela revient à une interdiction. Pourquoi le Parlement n’a-t-il toujours pas reconnu le potentiel des gaz renouvelables pour le couplage des secteurs et donc pour la transition énergétique ?

Jürg Grossen : Tout comme pour la production d’électricité, la production de gaz renouvelable comprend elle aussi une composante temps. Si nous produisons du gaz de synthèse à partir de la totalité du courant solaire excédentaire, nous en aurons trop en été. Il est possible de stocker le gaz, mais le transfert de telles quantités de l’été vers l’hiver nécessiterait énormément de place, serait peu efficient et très coûteux. Le réseau gazier ne résout donc pas le problème saisonnier de l’électricité. Le gaz renouvelable peut néanmoins jouer un rôle complémentaire dans la transformation du système énergétique, surtout pour les processus industriels à haute température, qui continuent à nécessiter du gaz. Le potentiel du biogaz devrait lui aussi être mieux exploité, surtout dans l’agriculture. L’écologisation de l’approvisionnement en gaz n’est donc pas freinée ou entravée avec la nouvelle loi sur le CO2 – mais elle ne fait pas non plus l’objet d’un encouragement particulier, car comme nous l’avons vu elle ne résout pas le problème saisonnier de l’électricité.

Christian Imark : L’interdiction de fait des chauffages au mazout et au gaz ne nous paraît ni judicieuse, ni nécessaire – entre autres parce qu’elle ne tient pas compte de la provenance du gaz. En outre, les nouvelles technologies de chauffage ne sont pas adaptées à toutes les zones. Les pompes à chaleur par exemple peuvent s’avérer problématiques dans les centres urbains en raison de nuisances sonores. Et en ce qui concerne le déficit d’électricité hivernal, nous devons réfléchir à la voie que nous empruntons. Car les pompes à chaleur et la mobilité électrique ne font qu’aggraver ce problème. Le Parlement se concentre trop peu sur les effets. Alors que des solutions simples et efficaces seraient envisageables. Un exemple: les propriétaires d’un certain âge renoncent souvent à engager des mesures de rénovation parce qu’ils·elles ne peuvent plus obtenir de crédit hypothécaire. On pourrait changer cette donne en rattachant le risque de l’investissement non plus au·à la propriétaire mais à l’objet, le faisant passer à l’acheteur·se en cas de vente. Au lieu d’idées simples de ce genre, le Parlement mise sur une politique des symboles et sur le socialisme.

Christian Imark, conseiller national et président de l'UDC Soleure
Christian Imark, conseiller national et président de l'UDC Soleure
«La loi manque de solutions pragmatiques dans le domaine du gaz, p.ex. une exemption de la taxe sur le CO2 pour le biogaz importé.»

Comment votre parti s’engagera-t-il en faveur de solutions pragmatiques pour les gaz renouvelables lors de la mise en œuvre de la loi sur le CO2 au niveau cantonal?

Christian Imark : Je ne pars pas du principe d’un Oui, la question ne se posera donc je l’espère même pas. En cas de Non, nous retournons à la case départ et pourrons mieux tenir compte des gaz renouvelables. S la loi devait être adoptée, avec donc une interdiction de fait pour les nouveaux chauffages au gaz, il sera difficile de procéder à une mise en œuvre pragmatique. Car les défenseurs diront que le peuple souhaite une mise en œuvre aussi stricte que possible. Quels arguments pourrons-nous alors avancer? C’est pourquoi il faut dès maintenant marquer un arrêt.

Jürg Grossen : Sur le principe, nous devons nous éloigner des technologies de combustion. Elles ne devraient plus être possibles que là où des températures élevées sont absolument nécessaires. Ce n’est pas le cas pour le chauffage, où il existe de meilleures solutions. Dans les centres-villes, ce seront peut-être plutôt des réseaux de chauffage urbain que des pompes à chaleur. Les investissements actuels de nombreux fournisseurs d’énergie indiquent que c’est ainsi qu’ils analysent la situation. Ils s’éloignent des réseaux gaziers au profit des réseaux de chaleur. Les chauffages centraux au gaz peuvent avoir du sens en tant que solution transitoire jusqu’à ce que le raccordement à un réseau de chaleur soit possible; ils devraient alors être opérés avec une part continuellement croissante de gaz renouvelable. En tant que parti, nous soutiendrions une telle approche – mais pas celle d’un chauffage au gaz dans chaque maison.

En cas de Non, quelles seront les prochaines étapes de la politique énergétique et climatique ?

Jürg Grossen : Je pars fortement du principe d’un Oui. En cas de Non, il nous faudrait tout d’abord procéder à une analyse précise des résultats de la votation pour savoir quelles raisons auraient été déterminantes. Ensuite, nous reprendrions la discussion politique, comme nous le faisons toujours en Suisse dans un tel cas. Car une chose est sûre: l’objectif de zéro émission nette restera en place. La Suisse s’y est engagée avec la signature de l’Accord de Paris sur le climat. Après un Non, une responsabilité majeure incomberait à ceux et celles qui disent aujourd’hui que la nouvelle loi sur le CO2 est inutile. Ils·elles devront montrer comment ils·elles comptent réduire l’empreinte écologique d’un facteur 3 à 1.

Christian Imark: Si l’expiration de l’ancienne loi sur le CO2 crée des lacunes juridiques, on peut sans problème prolonger les réglementations existantes. En parallèle, nous pouvons chercher des solutions pragmatiques qui tiennent aussi mieux compte du couplage des secteurs. Nous sommes de toute façon engagés sur une trajectoire descendante et de nombreux efforts de réduction sont entrepris indépendamment du contexte légal. La science et l’économie se préoccupent déjà fortement des émissions de CO2. Nous sommes également en plein processus de transformation en ce qui concerne l’électrification des transports et la production de chaleur.

Pourquoi les services industriels auraient-ils un rôle à jouer en s’engageant pour ou contre la loi sur le CO2?

Christian Imark: Les représentants des services industriels devraient se demander quel sens il y aurait pour la population à devoir supporter des coûts nettement plus élevés sans pour autant résoudre le problème du climat? La loi manque par ailleurs de solutions pragmatiques dans le domaine du gaz, p.ex. une exemption de la taxe sur le CO2 pour le biogaz importé. Et elle ne tient pas assez compte du couplage des secteurs. Les services industriels en particulier devraient donc s’engager en faveur du Non.

Jürg Grossen : Dans la plupart des villes, la population vote majoritairement gauche-vert. La grande majorité des habitant·e·s soutiennent l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050. Les services industriels appartiennent à cet électorat. Il serait donc étrange qu’ils ne s’engagent pas en direction de l’objectif zéro émission nette. Ils devraient suivre la volonté des électeurs·rices dans les villes et s’engager en faveur de la loi sur le CO2.