« La vision de Swisspower est aujourd’hui encore la bonne. »

En 2025, Swisspower fête ses 25 années d’existence. En ce début d’année anniversaire, le président du Conseil d’administration Hans-Kaspar Scherrer se retourne sur le parcours de l’alliance des services industriels et prend position sur des thématiques actuelles de la politique énergétique.

Vous êtes à la tête du Conseil d’administration de Swisspower SA depuis déjà 15 années. Quel regard portez-vous sur cette période ?

Hans-Kaspar Scherrer : Ce fut une période passionnante, au cours de laquelle nous avons accompli pas mal de choses. Parmi les principaux jalons figurent la signature du Masterplan 2050 en 2012 et le développement réussi des sociétés sœurs Swisspower Renewables et Green Gas. Parallèlement à ces réussites, nous avons aussi eu à essuyer quelques revers : avec Swisspower Energy, nous étions en très bonne position sur le marché de l’énergie et des clients multisites, mais nous avons dû revendre cette branche d’activité faute de lignes de crédit suffisantes. Ce qui me motive encore et toujours chez Swisspower, y compris dans mon mandat de présidence, c’est l’échange avec les CEOs et autres représentant·e·s de services industriels. Nous apprenons les un·e·s des autres et nous sommes aussi dans une certaine mesure en saine concurrence les un·e·s avec les autres. Nous nous aidons mutuellement dans les nombreux domaines qui nous mettent au défi et qui s’avèrent de plus en plus complexes. Et l’équipe de Swisspower soutient nos services industriels en route vers un avenir énergétique durable. À l’occasion des célébrations d’anniversaire de Swisspower en juin, je me réjouis de revoir de nombreux visages familiers, de nous retourner ensemble sur le chemin parcouru et de nous oser à une vision perspective.

À quel point la vision de Swisspower d’un avenir énergétique pleinement renouvelable est-elle encore d’actualité ?Dans l’ensemble, cette vision est aujourd’hui encore la bonne. Avec l’objectif de zéro émission nette, elle a même été adoptée dans le monde entier. Sur ce coup, nous étions en avance sur l’époque. Mais maintenant, il s’agit de mettre cette vision en œuvre. Ce processus est très complexe et nécessite beaucoup de capital, en particulier pour la transition thermique. Avec Swisspower Innovation, nous disposons d’un bon dispositif pour favoriser les innovations dans le domaine des énergies renouvelables. Je pense ainsi à titre d’exemple à des systèmes intelligents permettant de mieux harmoniser la production d’énergie aléatoire des installations solaires et la consommation d’énergie.

Et pourtant, les énergies renouvelables font face à des vents contraires plus forts qu’il y a encore quelques années. Depuis le dépôt de l’initiative « Stop au blackout », la Suisse reparle même de nouvelles centrales nucléaires …

On ne peut pas nier que la dynamique engagée en matière d’énergies renouvelables est encore insuffisante. En dépit d’initiatives nationales bien intentionnées comme les offensives solaire et éolienne, la mise en œuvre peine à se concrétiser face aux oppositions et aux résistances locales. Cependant, concernant le débat actuel sur l’énergie nucléaire, je tiens à rappeler qu’à l’avenir, la Suisse réalisera des excédents d’électricité en été. Pour pallier purement à la production d’électricité en hiver, il semble donc peu raisonnable de miser sur une technologie comme l’énergie nucléaire, axée sur un fonctionnement à l’année. Les coûts de revient de nouvelles centrales nucléaires seraient bien trop élevés si elles n’étaient opérées que 4000 ou 5000 heures par an. Le couplage chaleur-force, à rendement élevé, opéré au gaz renouvelable, à l’hydrogène ou au méthanol, offre une meilleure solution à la problématique de l’électricité hivernale.

La Suisse et l’UE ont conclu leurs négociations fin 2024. Le paquet des négociations comporte entre autres un accord sur l'électricité. Quel regard portez-vous sur le résultat des négociations ?

Il faut considérer cela à différents niveaux. Du point de vue du réseau de transport et en vue d’un approvisionnement stable du pays en électricité, Swissgrid dit avec raison qu’il est impératif que la Suisse soit à nouveau pleinement intégrée dans le système énergétique de l’UE et puisse s’impliquer dans tous les organes de décision. Mais la question se pose : même avec un accord sur l’électricité, les pays environnants pourraient-ils vraiment compenser un éventuel déficit d’électricité hivernale de la Suisse – étant donné que la plupart sont eux-mêmes plutôt « justes » en énergie ? Ne faudrait-il pas que la Suisse elle-même s’active plus en matière de production afin de pouvoir par exemple couvrir par ses propres moyens l’arrêt imprévu d’une centrale nucléaire ? Sans oublier le niveau du marché et des client·e·s. Car pour conclure un accord sur l’électricité, l’UE exige que tous les consommateurs·rices finaux en Suisse puissent choisir librement leur fournisseur d’électricité.

Que pense Swisspower de cette ouverture complète du marché ?

Les opinions des services industriels divergent. Certains trouvent qu’il est grand temps de procéder à la libéralisation complète du marché de l’électricité. D’autres sont sceptiques. Personnellement, je suis moins critique face à cette évolution. Car l’actuelle organisation du marché avec ouverture partielle et méthode du prix moyen (qui est enfin supprimée), ne vaut pas mieux qu’une libéralisation complète du marché. Quoi qu’il en soit, des questions restent à clarifier en vue d’un éventuel système énergétique futur combinant une production décentralisée massive et un marché ouvert. Prenons par exemple le courant solaire que nous devons racheter dans nos zones de réseau : en tant que service industriel, si je perds un nombre important de client·e·s parce qu’ils·elles trouveront toujours un fournisseur à meilleur prix dans un marché libéralisé, à qui puis-je encore revendre ce courant solaire ? Et qui est alors responsable pour le développement de la production renouvelable ? Ce développement ne se fera-t-il plus qu’en cas de subventions massives voire excessives ? Ouverture complète du marché côté clientèle et économie planifiée côté production – cela ne me semble pas cohérent.

Le Parlement débat actuellement d’une nouvelle loi fédérale sur la surveillance et la transparence des marchés de gros de l’énergie (LSTE). Quelles en sont les implications pour les services industriels ?

Actuellement, pour la très grande majorité des services industriels cette loi n’a pas de répercussions, car nous n’achetons pas l’énergie directement à l’étranger mais plutôt « over the counter » – donc par des contrats de livraison avec des fournisseurs suisses. Tant que la Suisse n’opère pas ses propres plateformes de négoce d’électricité et de gaz, cette nouvelle réglementation ne me semble que modérément utile. En effet, il s’agit de dispositions européennes que les entreprises suisses participant au négoce d’énergie à l’étranger doivent de toute manière déjà respecter.

Dans le domaine du gaz, avec l’accord de solidarité c’est encore un autre dossier important qui figure à l’ordre du jour du Parlement. Le Conseil des États a déjà apporté son soutien à l’accord sans opposition. Est-ce également une affaire entendue pour Swisspower ?

Oui. En Suisse, nous transportons du gaz à travers notre pays avec la conduite Transitgas. Il est donc sensé et utile de conclure de tels accords avec l’Allemagne et l’Italie. Avec cet accord, nous avons trouvé une solution raisonnable et – comme son nom l’indique – solidaire. En cas de pénurie, les trois pays doivent économiser le gaz à proportions égales. C’est équitable de procéder ainsi.

Et pour finir, jetons un regard vers l’avenir : où voyez-vous Swisspower dans 15 ans – l’alliance entre services industriels sera-t-elle alors toujours nécessaire ?

Oui. Car en tant que services industriels nous avons affaire à des thématiques qui nécessitent toujours plus de coopération : je pense ainsi à la libéralisation du marché, à la numérisation, à l’amélioration de l’efficience et à la pénurie de personnel qualifié. Nous allons devoir apprendre à accomplir un volume de tâches au moins équivalent avec moins de collaborateurs·rices. Il va par conséquent falloir numériser plus de processus. La question se pose alors de savoir si chaque service industriel aura vraiment besoin de son propre système pour chaque processus – ou s’il ne sera pas plus intéressant de développer des solutions sectorielles communes sous l’égide de Swisspower et de les déployer auprès d’un grand nombre de services industriels. Je vois aussi des possibilités de coopération dans le contexte de nouvelles thématiques comme le protocole des gaz à effet de serre, les émissions négatives ou l’hydrogène vert. Ce qui montre bien que nous aurons encore besoin de Swisspower dans 15 ans. Je serais heureux que d’autres entreprises multifluides ou services industriels rejoignent notre alliance dans les années à venir.